L’Afrique de l’Ouest pleure un des architectes de son économie, le Béninois Mouftaou Alidou

Feu El-Hadj Mouftaou Alidou
Feu El-Hadj Mouftaou Alidou

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PAR SOUMANOU SALIFOU

Le 31 mai, le Bénin a perdu un des architectes les plus dévoués de son économie des cinq dernières décennies en la personne de Mouftaou Alidou, ancien Directeur Général des Impôts et des Domaines, un homme qui a également apporté sa pierre au développement économique de la sous-région.

Alidou, titulaire d’une licence en sciences économiques, est diplômé de l’Ecole Nationale des Impôts de Clermont Ferrand, en France, en 1974. Il a également pris part à la formation sur les finances publiques au siège du Fonds Monétaire International à Washington en 1982 et à des séminaires organisés par l’Allemagne à Bonn et Berlin sur les finances, notamment les finances locales.

Ses études terminées en France, Alidou rentre au Bénin et intègre le Service des Impots et des Domaines en 1974. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il gravisse les échelons et se hisse à des postes de haute responsabilité. Puis en 1990, à la suite de la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation qui a ouvert au Bénin la voie de la démocratie multipartite, il a été nommé Directeur Général des Impôts et des Domaines par Nicéphore Soglo, ancien administrateur de la Banque Mondiale nouvellement rentré au Bénin et choisi comme Premier Ministre du gouvernement de transition.

Élu président de la république l’année suivante, Soglo a réalisé un quasi-miracle en ressuscitant l’économie bénisoise des cendres de 17 années de dictature marxiste sous le règne du Général Mathieu Kérékou. Les recettes douanières et des impôts étant les principales sources de revenu de l’État, le Service des Impôts, alors sous Alidou, a joué un rôle crucial—en plus de l’aide étrangère massive. Ce reporter se rappelle avoir appris de la bouche même de Alidou comment le président Soglo l’appelait chaque semaine pour s’enquérir des revenus fiscaux attendus, ce dans le cadre des efforts du président pour relancer l’économie.

Former Beninese president Nicephore Soglo (white outfit) attends the funeral of the late Al-Hadji Mouftaou Alidou
L’ancien president Nicephore Soglo (boubou blanc) aux funerailles de Mouftaou Alidou

Un pionnier qui a laissé sa marque

L’histoire retiendra qu’Alidou a été l’auteur de la réforme fiscale sans précédant de 1994 qui a été saluée par les économistes et inspiré les respondables des administrations fiscales de certains pays voisins, dont ceux du Burkina Fasso qui sont descendus à Cotonou pour se mettre à l’école d’Alidou. Le président Soglo, incontestablement le meilleur président que le Bénin ait connu à ce jour, a tellement apprécié les performances d’Alidou qu’il a voulu le faire entrer dans le gouvernement en 1994, mais a eu à changer d’avis pour des raisons de calculs politiques apparemment indépendantes de sa volonté.

Soglo, âgé maintenant de 84 ans, a assisté à l’enterrement d’Alidou à Cana, à 136 kilomètres de Cotonou, malgré le lapse de temps très court entre le décès et l’hinumation. (L’Islam exige qu’Alidou, qui a rendu l’âme en fin d’après-midi, soit enterré le lendemain matin vers 10 heures.) Dans une oraison funèbre particulièrement chaleureuse, le président Soglo a salué la mémoire de son ex-collaborateur en ces termes: “L’Afrique, pas seulement le Bénin, vient de perdre un de ses meilleurs économistes en la personne de Mouftaou Alidou.”

The late Al-Hadji Mouftaou Alidou
Feu El-Hadj Mouftaou Alidou

Une vie passée à servir

Alidou a passé sa vie à servir sans relâche son pays et le reste de l’Afrique. Parti à la retraite au début des années 2000 après une carrière enrichissante au Service des Impôts et des Domaines, il a servi pendant seize autres années en qualité de Directeur des Services Economiques et Financiers de la Mairie de Cotonou sous nul autre que son ancien patron, Nicéphore Soglo, qui a dirigé la plus grande des 77 communes du Bénin après sa vaine tentative en 1996 d’être élu pour un second mandat à la tête de l’Etat. Alidou a également servi sous le fils du président, Lehady Soglo, après que celui-ci a pris la relève de son père.

Au total, au terme de sa vie, Alidou a laissé sa marque en tant que spécialiste en gestion administrative, gestion des impôts, droits, taxes, redevances du budget général, gestion financière et comptable d’entreprises publiques, audit interne d’entreprises publiques, vérification de comptabilité générale d’entreprises privées, contrôle fiscal, réformes fiscales et des recettes propres non fiscales de l’Etat et des collectivités locales. Seul ou avec des co-associés du groupe des consultants indépendants, AKZ, il a conduit d’importantes études financières telles que la nomenclature budgétaire et comptable des communes du Bénin, le suivi des recettes et des dépenses des communes, l’amélioration des recettes propres, les taxes et redevances environementales, les manuels de structure des procédures telles que le service des collectivités locales de la Direcction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique du Bénin, pour ne citer que ces aspects.

Ses interventions ne se sont pas limitées au Bénin. Il a conduit des opérations d’audit hors du pays, comme par exemple celui de l’ex compagnie multinationale Air Afrique basée à Abidjan. Il a été président du collectif des dirigeants des administrations fiscales des pays membres de l’UEMOA de 1992 à 1996, et membre actif du Centre de Rencontres et d’Etudes des dirigeants des administrations fiscales ayant en partage la langue française. Alidou a été, à partir de 2015, président du Réseau des Directeurs Financiers des Villes Africaines, FINET.

Au prix de sa santé

Au cours des 45 dernières années, de 1974, année où il a fait son entrée au Service des Impôts et des Domaines, jusqu’à sa mort à l’âge de 76 ans le 31 mai, Alidou a consacré tout son temps et toute son énergie à servir le public au détriment de sa santé. Ce reporter se rappelle quand, rentré tard un soir après sa journée de travail typique de douze heures à la Mairie en 2010, l’expert des questions budgétaires qu’était Alidou a dû passer toute la nuit à éplucher le projet de budget du gouvernement afin de livrer ses appréciations au collectif des partis de l’opposition, l’Union fait la Nation, UN, qui devait se prononcer là-dessus à l’hémicycle le lendemain. Alidou n’était à l’époque membre ni de l’UN ni d’aucun autre parti politique béninois constitué. Pourtant, la politique ne le laissait pas indifférent. Déjà vers la fin des années 60 quand il était étudiant dans les universités africaines avant d’aller terminer ses études en France, il était un membre actif de l’Union Générale des Élèves et Étudiants du Dahomey qui n’était pas avare de critiques à l’égard de l’ancien colonisateur ou de l’impérialisme et le néocolonialisme.

Dans une administration béninoise connue pour sa corruption, surtout dans le secteur des finances, Alidou tranchait par son intégrité. Il dédaignait l’accumulation de richesse. Il avait pour seuls biens sa maison et deux véhicules modestes.

Un homme dévoué à sa famille

Al-Hadji Mouftaou Alidou shakes hands with younger Salifou family members upon his arrival in the family's home in Cana in 2010  for their annual family reunion.
El-Hadj Mouftaou Alidou, chef de la famille Salifou, serre la main aux membres de la famille au Congres annuel de la famille en 2010

Alidou ne connaissait pas de limites quand il s’agissait d’investir son argent gagné à la sueur de son front dans l’éducation de ses cinq enfants dont quatre ont étudié à l’étranger, y compris au Canada, au prix élevé que tout le monde sait.

Issu d’une famille de célèbres cordonniers de Cana, à 136 kilomètres de Cotonou, Alidou a été le premier membre de sa famille à faire des études universitaires. Cana, aujourd’hui un gros village d’environ 10 000 âmes situé de part et d’autre de la route inter État Bénin-Niger, fut la capitale spirituelle du puissant et prospère royaume du Danxomê qui a opposé une résistance farouche au colonisateur qu’il a entrainé dans une guerre de résistance de 1890 à 1894.

Le défunt Directeur Général des Impôts et des Domaines du Bénin devrait en fait s’appeler Mouftaou Salifou, mais s’est retrouvé avec Alidou, le nom de son père, comme nom de famille, à la suite d’une erreur.

L’histoire du patriarche de la famille Salifou de Cana se perd dans la nuit des temps. Salifou (vraissembablement son prénom) était un membre de la famille royale de Oyo (dans le Nigéria actuel) adopté par une notable de Cana. La famille tire un certain orgueil du sobriquet de Salifou, le mot Adakpé (qui signifierait “une personne classe”), allusion probable à ses origines nobles. Toutefois, Adakpé, juste un sobriquet, ne fait pas partie du nom de cette famille.

La famille Salifou de Cana ne compte guère de cordonniers aujourd’hui à part Sakashoes bien connu dans le pays. Elle est dispersée à travers le Bénin, dans plusieurs pays africains, ainsi qu’en Europe, aux États-Unis et au Canada. Elle compte aujourd’hui plusieurs détenteurs de doctotat dont un agrégé en la personne du Professeur Sahidou Salifou, une douzaine d’ingénieurs, des hommes des médias, des professeurs de lycée dont un s’est converti en entrepreneur, des consultants dans des multinationales et auprès du gouvernement américain, etc. Certains de ces cadres doivent leur succès à Mouftaou (Salifou) Alidou, un homme humble, généreux—rigoureux, certes—qui a vécu en croyant à la valeur, hélas en voie de disparition, de la solidarité familiale.

Fofo Pick 4

En pleurant le départ de leur chef de famille, les membres de la famille Salifou de Cana, au Bénin et à travers le monde, prient que Dieu l’accueille dans son Royaume, dans la certitude que, même de Là-Haut, leur pépé, papa, tonton, fofo et mentor continuera de les combler d’amour comme il l’a fait tout au long de sa vie passée à servir.